- Author, Yaye Awa Niang
- Role, Journaliste -BBC Afrique
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- Reporting from Dakar
Les autorités sénégalaises ont récemment annoncé un ambitieux programme de transformation à grande échelle du phosphate, une matière première clé dans la fabrication des fertilisants, dont le pays dispose en grande quantité. Un projet qui devrait permettre de soulager les agriculteurs dans le pays s’il est mené à bout.
Dans les Niayes, une vaste zone agricole considérée comme le poumon de l’agriculture sénégalaise, Jean Saliou Fall, sexagénaire, s’active dans son jardin spécialisé dans la production de légumes.
Les longs mois de canicule laissent progressivement place à la période de froid, un aléa climatique qui freine la croissance des plantes. Ce qui signifie pour cet agriculteur de la banlieue de Dakar, que c’est le début de la période d’utilisation des engrais.
Il observe donc avec inquiétude son potager, pensant au coût élevé de ces intrants agricoles.
« Par exemple, un sac d’engrais NPK 10-10-20 coûte 25 000 francs, et l’engrais d’urée de 50 kg varie entre 40 000 et 50 000 francs », affirme-t-il.
La réalité est la même pour Mame Ndiaga Diop, un autre agriculteur exerçant à Notto Gouye Diama, près de Thiès, la deuxième ville la plus peuplée du pays.
Pour optimiser la production de son champ d’une vingtaine d’hectares, il est également dépendant de l’engrais phosphaté.
« Sur mes 8 000 pieds de citronniers et 15 000 pieds de manguiers, cet engrais me permet d’améliorer considérablement mes rendements », précise-t-il.
Ce mardi, alors que nous lui parlons, il s’apprête à passer une commande pour cet intrant important pour son activité.
Pour ses 20 hectares de terrain, il a besoin de pas moins de 10 sacs environ d’engrais par mois afin de protéger ses manguiers et ses citronniers de l’acidité du sol, causée par les eaux de pluie.
« Mais le prix est élevé, et cela pèse sur mes finances », lance-t-il d’un air attristé, surtout que les prix fluctuent régulièrement sur le marché.
Insuffisance de l’engrais local
Mame Ndiaga cultive pourtant ses champs à quelques kilomètres d’une zone considérée comme un scandale en matière de phosphate, l’une des matières premières les plus importantes pour la production d’engrais.
La région de Thiès, à l’ouest du Sénégal, abrite d’importants gisements de phosphate, exploités depuis plusieurs décennies. Une société étatique de transformation de cette matière première en engrais est installée non loin de là. Malgré nos sollicitations, nous n’avons pas pu avoir accès à ses usines.
Mais selon le Système d’Information Energétique du Sénégal, elle produit en moyenne quelques 250 mille tonnes d’intrants par an, toutes variétés comprises.
Soit moins de la moitié des 600 mille tonnes d’acide phosphorique produites par les usines situées à Darou et qui alimentent celles de transformation de Mbao près de Dakar.
Le surplus de la production brute est destiné à l’exportation, laissant la demande locale insatisfaite, ce qui contribue à la fluctuation des prix, selon les experts.
Cela appelle à davantage de subventions de l’État pour alléger le coût d’achat des intrants, estime par exemple Abdoulaye Badiane, chercheur à l’Institut Sénégalais de Recherche Agricole et spécialiste des sciences du sol.
« Il est essentiel que l’État développe davantage d’usines de transformation, comme celle d’INDORAMA, notamment dans des zones agricoles comme le Saloum. Une telle initiative permettrait de répondre efficacement aux besoins en engrais du Sénégal », suggère Jean Meissa Fall, qui souvent obligé de se rabattre sur des engrais importés.
La transformation du phosphate à quel prix ?
En octobre dernier, les nouvelles autorités sénégalaises ont placé l’agriculture parmi les leviers majeurs de leur programme de développement « Sénégal 2050 ».
Le phosphate devrait jouer un rôle clé dans cette ambition.
D’abord, parce que ce produit contribue à la désalinisation des eaux, explique Abdoulaye Badiane, chercheur à l’Institut Sénégalais de Recherche Agricole et spécialiste des sciences du sol.
Selon lui, « plus de 1,7 million d’hectares de terres, s’étendant du delta du fleuve Sénégal à la Casamance, sont gravement menacés par la salinisation « .
Il ajoute que « le phosphate de chaux, riche en calcium, pourrait jouer un rôle essentiel dans la lutte contre la salinisation en facilitant le lessivage du sel et en apportant des nutriments phosphatés vitaux pour les plantes ».
Au ministère de l’Agriculture, l’objectif est de renverser cette tendance. « Il est impératif que nous ne permettions plus aux importations de dominer nos investissements locaux. Cela ne peut plus continuer. Il en va du rendement des agriculteurs », déclare le ministre Mabouba Diagne.
« Le gouvernement sénégalais privilégiera désormais « la collaboration avec notre secteur privé national, car cela relève de notre souveraineté », a-t-il annoncé le 26 novembre 2024, lors de la signature d’une convention de politique industrielle et commerciale entre le ministère de l’Agriculture, celui de l’Industrie et la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal (CNES), en vue de « garantir la sécurité alimentaire » dans le pays.
Son collègue Serigne Gueye Diop, le ministre de l’Industrie, a à cette occasion, annoncé que le Sénégal a désormais « l’ambition d’exploiter et de transformer le phosphate de Matam et de Thiès pour produire entre 2 à 3 millions de tonnes d’engrais par an ».
Cependant, les deux ministres n’ont pas précisé le budget alloué à cette ambition ni le calendrier de réalisation du projet.
Il restera alors le défi de la distribution, et surtout de la vulgarisation des bonnes pratiques auprès des utilisateurs, explique Moulaye Kande, directeur de la société SEDAB SARL, spécialisée dans la distribution de fertilisants et de semences.
»Si le Sénégal parvient à produire suffisamment d’engrais phosphatés pour soutenir son secteur agricole, il sera également crucial d’accompagner les producteurs en les formant à une utilisation adéquate. Cela implique de les sensibiliser à l’application de l’engrais au bon moment, au bon endroit, avec les sols appropriés et les équipements nécessaires », confie-t-il à la BBC.