- Author, Isidore Kouwonou
- Role, BBC Afrique
- Reporting from Dakar
Dans les rues de Lomé, la capitale togolaise, Mme Ayaba (ceci est un nom d’emprunt) fait du porte-à-porte pour distribuer des dépliants aux gens, surtout les femmes. Elle prend le temps, par endroit, d’expliquer le contenu à certains, tout en invitant d’autres à une causerie débat qui devra se tenir dans les jours à venir.
La jeune dame fait cette activité depuis maintenant deux (02) ans, surtout dans le mois d’octobre. « C’est ma contribution pour sensibiliser sur le cancer du sein. Je ne voudrais pas que d’autres personnes vivent ce que j’ai vécu », lance-t-elle au téléphone quand BBC Afrique l’a contacté depuis Lomé.
Chaque année, dans le mois d’octobre dédié à la lutte et à la sensibilisation contre le cancer du sein, cette survivante du cancer du sein se rend disponible à une association locale pour l’organisation des séances en vue d’informer la population sur ce mal.
Sa vie est un témoignage du désastre que cause cette maladie dans les familles au Togo, en Afrique et dans le monde entier. Les récents chiffres publiés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèlent l’ampleur de la maladie et l’urgence d’intensifier les actions pour sauver les gens, notamment les femmes.
Safia, cette jeune femme ivoirienne joint à Abidjan la capitale, elle, n’a pas eu cette chance avec sa grande sœur qui est malheureusement décédée de cette maladie, après avoir subi une ablation du sein droit.
« En début 2017, elle avait commencé par se plaindre d’une boule et de la douleur au niveau du sein droit. Vu qu’elle a sevré son enfant, on pensait que c’était dû à cela et on lui a dit de patienter un peu jusqu’à ce que le lait maternel sèche », témoigne Safia.
C’est lorsqu’elles ont constaté que la boule a commencé à grossir qu’elles ont pris le chemin de l’hôpital. Après plusieurs examens, les médecins ont fini par leur dire que c’est un cancer. « Cela a pris au moins deux à trois mois », selon elle.
Le mal ayant très avancé, les médecins ont décidé d’une amputation. Ce qui a été fait. Mais quelques mois plus tard, la boule ressort et n’ayant plus de moyens d’assurer les dépenses de la chimio, la grande sœur de Safia est décédée.
Une triste situation que des femmes en Afrique vivent encore aujourd’hui, impuissantes devant cette maladie.
En ce mois d’octobre 2024, nombreuses sont des associations qui organisent encore des actions pour montrer l’ampleur de la maladie, sensibiliser contre le mal et surtout appeler les femmes au dépistage afin de détecter précocement le cancer de sein pour bénéficier d’un traitement efficace.
Que disent les chiffres ?
« C’est dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, qui enregistrent les plus faibles taux de survie, que le nombre de nouveaux cas augmentera le plus fortement dans les prochaines années », écrit l’OMS dans un rapport publié en 2022.
Cette prévision alarmiste fait craindre le pire quand on regarde un peu les chiffres sur l’évolution de cette maladie sur le continent africain.
Selon ce rapport, 1 109 209 nouveaux cas de cancer ont été enregistrés en 2020 en Afrique. Le cancer du sein représente la plus grande proportion, 16,8 % des nouveaux cas, soit 186 568 femmes touchées. Il est suivi par le cancer du col de l’utérus, 10,6 % (117 316 femmes).
Le cancer du sein constitue la première cause de mortalité par cancer chez la femme dans 19 pays de l’Afrique subsaharienne.
Le rapport indique que l’Afrique détient le taux plus élevé du cancer de sein dans le monde. 85 800 femmes sont mortes de cancer de sein en 2020. La moitié de ces femmes qui meurent en Afrique subsaharienne ont moins de 50 ans, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Selon Dr Valérie McCormack, scientifique au sein de la branche Épidémiologie de l’environnement et du mode de vie du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), « Plus d’un tiers des 64 000 décès annuels attribués au cancer du sein en Afrique subsaharienne pourraient être évités ».
Le combat des femmes contre le cancer du sein en Afrique
Mme Ayaba mène ce combat seule contre cette maladie, aidée par son garçon de 16 ans, tous les deux abandonnés par un mari et un père qui voyait en ce cancer de sein une malédiction qui a frappé sa femme.
« Il m’a quitté au moment j’avais le plus besoin de lui. Il disait qu’il n’a pas les moyens pour faire face à cette maladie qui demande beaucoup d’argent pour les traitements », confie Mme Koumou qui ajoute que l’homme pensait même que c’est une malédiction qui s’abattait sur sa femme.
Selon la jeune dame, son mari a été soutenu par sa famille qui l’encourageait à la quitter. « Je luttais contre ce cancer et en même temps contre cette douleur de perdre mon mari qui me laissait avec notre enfant », se souvient-elle.
Elle n’a eu la vie sauve grâce à une ONG qui a pris en charge son traitement. Un peu comme la grande sœur de Safia qui a bénéficié de l’aide d’une ONG à Abidjan pour son premier traitement, avant de décéder lorsque la boule a repoussé. « Elle est partie malheureusement après 3 ans de maladie », dit-elle.
Comme Ayaba, nombreuses sont ces femmes qui, en plus du mal qui les ronge, souffrent de la stigmatisation et de l’isolement de leurs proches. Ce qui complique la prise en charge et le traitement de cette maladie chez ces dernières.
De peur d’être victime de ces clichés dans la société, de nombreuses femmes préfèrent cacher le mal dont elles souffrent jusqu’à l’étape avancée de la maladie. Une période où le traitement devient difficile et elles finissent par décéder.
L’autre principal problème auquel est confrontée la population africaine, notamment les femmes, c’est l’accès au soin adéquat et aux bonnes informations. C’est pourquoi, comme la Ligue sénégalaise contre le cancer (LISCA), beaucoup d’associations et d’ONGs misent sur la sensibilisation pour atteindre ces personnes.
Par exemple cette année, la LISCA a démarré « octobre rose » avec une randonnée pédestre le dimanche 29 septembre dernier. Plus d’un millier de femmes et même des hommes ont sillonné les artères de la capitale, Dakar.
La situation au Sénégal
Selon Omar Diop, directeur de la communication de la Ligue sénégalaise contre le cancer (LISCA), environ 1 838 nouveaux cas de cancer sont détectés à ce jour au Sénégal, avec une mortalité de 70%, soit 967 décès.
Depuis 2010, cette ligue se bat et mène beaucoup d’activités, surtout en octobre, pour que la femme sénégalaise bénéficie d’une mammographie subventionnée. Elle travaille avec des radiologues privés.
Pour la présidente de la LISCA, le traitement du cancer du sein se fait en fonction du stade de la maladie. « On peut faire une chimiothérapie, une intervention chirurgicale et parfois on est malheureusement obligé d’enlever le sein, la mastectomie, puis une radiothérapie complémentaire, et si c’est un cancer hormono-dépendant, il faut un traitement de l’hormonothérapie pendant 6 ans », indique le Dr Fatma Guenoune.
Elle ajoute que c’est la chimiothérapie qui est la méthode la plus utilisée au Sénégal avant l’intervention chirurgicale. « Parce que nous voyons toujours des femmes après le stade 2, c’est-à-dire que la tumeur mesure plus de 2 cm, donc on commence par une chimiothérapie pour réduire la taille et empêcher les cellules métastatiques ».
Ensuite on enlève le sein (la mastectomie) et après on complète par la radiothérapie. Le coût du traitement du cancer est onéreux. Ce qui constitue un handicap pour ces femmes à revenu faible. Et donc l’une des causes de l’augmentation des décès chez les femmes atteintes du cancer du sein en Afrique.
La LISCA mène donc un plaidoyer auprès des nouvelles autorités du pays pour rendre le traitement du cancer gratuit au Sénégal. Car selon le Dr Guenoune, entre les traitements intermédiaires, la chimiothérapie jusqu’à la radiothérapie, le coût peut être estimé à 2 millions de FCFA. Trop lourd pour la bourse du Sénégalais moyen.
Quant au dépistage, le coût de la mammographie dans le privé est à 60 000 FCFA. Mais la ligue s’est battue pour que cela soit réduit à 30 000 FCFA. Mais là aussi, vu la précarité dans laquelle vivent les femmes au Sénégal, LISCA se dit qu’il faut subventionner encore ce dépistage à hauteur de 15 000 FCFA.
Donc du 1er au 31 octobre, toute femme à partir de 40 ans, peut aller faire la mammographie chez le radiologue de son choix parmi les partenaires de la ligue.
De 2010 à 2021, 17 800 mammographies subventionnées ont été distribuées, avec 25 143 femmes dépistées pour le cancer du sein. Les mammographies totalement gratuites distribuées sont estimées à 1 624. 1 791 femmes malades ont été prises en charge pour leur diagnostic et leur traitement.
Dans le mois d’octobre, Dakar et ses banlieues seront envahis par la caravane de la ligue pour sensibiliser la population sur les facteurs de risque du cancer de sein. Cette sensibilisation appelle surtout les jeunes filles à l’autopalpation à partir de 20 ans, surtout après les règles.
La ligue dispose des étudiants en médecine qui l’aide dans cette sensibilisation, en faisant du porte-à-porte, expliquant aux femmes ce qu’est le cancer du sein, comment aller se dépister. Des journées de consultations sous la supervision des médecins sollicités par la ligue, permettent à ces femmes de bénéficier des séances de consultation de haut niveau.
« Pour cette année, il y aura un dépistage gratuit du cancer du sein avec des bons de mammographie subventionnés à 15 000 FCFA et des bons gratuits pour les cas diagnostiqués. D’autres dépistages seront organisés dans Dakar et sa banlieue. Nous irons aussi dans les régions de Kolda, Sedhiou et Ziguinchor où nous ferons le dépistage pour le sein et le col de l’utérus avec la formation des sages des localités citées », annonce Omar Diop.
Facteurs de risque favorisant le cancer du sein
Les cas de cancer du sein continuent d’augmenter dans les pays africains, notamment en Afrique subsaharienne. Parmi les facteurs favorisant cette augmentation, on note :
- Le tabagisme
- L’alcool
- La mauvaise alimentation (manger trop sucré trop salé trop gras),
- La sédentarité,
- L’hérédité
- Le stress
- La vieillesse
Selon les résultats de l’étude sur le cancer du sein en Afrique subsaharienne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le nombre annuel de femmes diagnostiquées avec un cancer du sein en Afrique subsaharienne devrait presque doubler d’ici 2040 en raison du vieillissement et de la croissance démographique.
Cette augmentation des cas sera encore plus importante si l’on tient compte de l’évolution du mode de vie et de la fécondité. Les femmes africaines tendent à avoir moins d’enfants et à retarder leur première grossesse.
L’OMS reconnaît que ces facteurs présentent de multiples avantages socio-économiques et sur le plan de la santé pour les femmes, mais ils augmentent aussi leur risque de développer un cancer du sein au cours de leur vie.
Diagnostic précoce pour vaincre le cancer du sein
Généralement dans les pays en Afrique, ce n’est qu’au stade avancé que le cancer du sein est détecté chez les femmes. Ce qui réduit considérablement les chances de la réussite du traitement curatif et favorise l’augmentation des décès.
« Il a fallu que ma sœur m’amène à l’hôpital à Lomé (capitale togolaise) pour qu’on diagnostic le mal dont je souffrais depuis plusieurs mois. C’est quand mon mari a su que c’est un cancer du sein qu’il m’a abandonné », confie Mme Ayaba.
Elle ajoute que les gens de son village ont rarement accès aux informations sur le cancer du sein, comment faire l’autopalpation et les dépistages pour se faire prendre en charge rapidement lorsqu’on fait le diagnostic.
Safia, quant à elle, après avoir vécu le drame de sa grande sœur, avait pris sur elle de faire le dépistage aussi, histoire de s’enquérir de son état.
« C’est la situation de ma grande sœur qui m’a décidé à faire les examens qui m’ont permis de détecter une boule au niveau de mon sein gauche et j’ai subi aussi une opération. Si je n’avais pas vécu cette situation avec ma sœur et si je n’avais pas été prévenante, peut-être que je serais aussi victime de cette maladie », déclare Safia qui ajoute qu’elle continue par palper le sein jusqu’à présent.
Selon les études de l’OMS, en Afrique subsaharienne, le pourcentage de femmes diagnostiquées à un stade avancé (stade III ou IV) varie considérablement d’un pays à l’autre. Au total, 50 % à 90 % des femmes sont diagnostiquées avec un cancer du sein localement avancé ou métastatique.
Ces études indiquent également que les femmes susceptibles d’être diagnostiquées à un stade avancé de la maladie incluaient les femmes socialement défavorisées, comme celles occupant un emploi non qualifié, n’ayant pas reçu d’éducation formelle ou ayant seulement été à l’école primaire, et celles peu sensibilisées au cancer du sein.
« Je pensais même au début que c’était un envoûtement, surtout lorsque j’ai commencé par sentir un début de douleur dans mon sein gauche », indique Mme Ayaba.
Le manque de sensibilisation, reconnaissent les spécialistes, est un frein au diagnostic précoce du cancer du sein. En Ouganda, par exemple selon l’OMS, deux femmes sur trois pensaient que cette maladie est incurable. Les mythes sur les causes du cancer du sein étaient répandus, comme les croyances selon lesquelles il serait dû à une malédiction ou au port d’argent ou du téléphone dans le soutien-gorge.
Les études soulignent que le plus souvent, les femmes susceptibles de ne recevoir aucun traitement dans les 12 premiers mois suivant le diagnostic étaient des femmes jeunes, peut-être en raison de la stigmatisation, de la peur de la mutilation ou de la peur de l’abandon, mais ce défaut de traitement se retrouvait aussi chez les femmes les plus âgées.
Le statut socio-économique était le plus fort déterminant de l’accès au traitement en Ouganda et au Nigéria, où il n’y a pas de couverture sanitaire universelle. De plus, la préférence pour la médecine traditionnelle était également une entrave à l’initiation du traitement en Ouganda.
Aujourd’hui, Mme Ayaba vit avec un seul sein, avec la peur que le second ne soit aussi atteint, indiquant que c’est ce que les rumeurs répandues dans son village font croire aux gens. « Tu vas entendre les gens dire que le risque que le second sein soit aussi malade est très élevé, et donc je dois m’attendre au pire ».
Awa Traoré, la cinquantaine, a également lutté contre le cancer du sein pendant 18 mois et le cancer du poumon pendant 12 mois. Aujourd’hui, elle rend grâce parce qu’elle a diagnostiqué le mal très tôt et subi les traitements (radiothérapie et chimio), même si elle confie avoir vendu son or et ses terrains pour assurer les coûts.
Elle a mis en place une organisation afin « de soutenir mes sœurs et de leur apporter le soutien moral d’abord, et nous les aidons avec le peu de moyens que nous avons à faire la chimio, la chirurgie et à leur montrer les différentes étapes de la maladie, les aider à supporter les conséquences ».
Pour la professeure Isabel dos Santos Silva, qui a participé à ces études de l’OMS, « il est essentiel de garantir l’accès à un diagnostic rapide et à un traitement approprié pour prévenir les décès dus au cancer du sein en Afrique subsaharienne ».
Qu’est-ce que le cancer du sein ?
Selon l’OMS, le cancer du sein est une maladie caractérisée par la croissance incontrôlée de cellules mammaires anormales qui forment alors des tumeurs. Si rien n’est fait, les tumeurs peuvent se propager dans l’organisme et avoir une issue fatale.
Ce cancer est asymptomatique dans un premier temps chez la plupart des malades. C’est pourquoi la détection précoce est très importante. Les signes ne se montrent qu’à un stade avancé, avec une association de symptômes. Ils sont généralement :
- une masse ou un épaississement dans le sein, souvent indolore,
- un changement de la taille, de la forme ou de l’apparence du sein,
- des fossettes, des rougeurs, une peau d’orange ou d’autres changements cutanés,
- une modification de l’apparence du mamelon ou de la peau qui l’entoure (aréole),
- un écoulement mamelonnaire anormal ou sanglant.
L’OMS conseille de consulter un médecin lorsqu’il y a une masse anormale qui se forme dans le sein. « Je ne savais pas cette petite boule que je constatais dans mon sein gauche allait conduire à enlever mon sein », regrette Mme Ayaba.