- Author, Ousmane Badiane
- Role, Digital Journalist BBC Afrique
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- Reporting from Dakar
Ramatou Ouedraogo 31 ans, mère de six enfants, a fui son village dans le nord du Burkina Faso depuis mars 2024 en raison d’attaques menées par des groupes armés. Elle a trouvé refuge à Koro, dans la région de Mopti au centre du Mali.
» C’est suite à une attaque que nous sommes venus ici. L’attaque a eu lieu un matin vers 6h au moment du petit déjeuner. Les assaillants ont surpris les habitants du village et les ont tués, ils n’ont épargné quasiment personne. Plus de 200 personnes dont des nourrissons, enfants, personnes âgées, femmes enceintes, ont été tuées. C’est ce qui nous a poussé à fuir pour venir à Koro ici au Mali mais une fois arrivés sur place, mon mari est allé vers les sites d’orpaillage et me laisser seule ici à Koro avec mes 6 enfants « , témoigne Ramatou.
Les attaques et les persécutions contre les civils ont contraint des dizaines de milliers de Burkinabè à quitter le pays ces derniers mois, dans une région déjà en proie à l’insécurité alimentaire et aux effets du changement climatique.
Fin août 2024, plus de 67 000 Burkinabè avaient trouvé refuge dans des pays voisins notamment le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin et le Ghana.
Au même moment, plus de 2 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, ce qui en fait l’une des crises de déplacement interne les plus importantes sur le continent africain.
Différence entre déplacés internes et réfugiés
Les réfugiés sont des personnes qui fuient les conflits ou la persécution. Leur statut est défini et protégé par le droit international et les réfugiés ne peuvent être expulsés ou renvoyés vers des situations où leur vie et leur liberté sont en péril.
Lorsque des personnes passent une frontière pour échapper aux persécutions, elles sont protégées par des conventions internationales et sont juridiquement considérées comme des réfugiés.
La protection des réfugiés présente de nombreux aspects, dont la garantie de ne pas être renvoyé vers des conditions dangereuses, l’accès à des procédures d’asile équitables et efficaces et les mesures visant à garantir le respect des droits fondamentaux des réfugiés jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution durable à leur situation.
Les personnes vivant une situation semblable qui quittent leur région d’origine tout en restant dans leur propre pays deviennent des déplacés internes. Ce sont des personnes contraintes de fuir à l’intérieur de leur propre pays, notamment en raison de conflits, de violences, de violations de leurs droits.
Les déplacés internes ne constituent pas une catégorie juridique particulière et ils ne bénéficient donc pas d’une protection spécifique du droit international. Ils demeurent dans leur propre pays et leur protection relève de la responsabilité de leur Etat , même si celui-ci ne peut souvent plus l’assurer ou serait même la cause de leur déplacement.
« Je suis sans nouvelles de mon mari «
Suite aux récentes attaques et tueries dans le nord du Burkina Faso dans les villages de Sorro, Komsilga, Nodin, etc., de nombreuses personnes ont fui (et continuent de fuir) divers villages près de la frontière avec le Mali pour se réfugier à Koro et dans d’autres villages environnants dans le centre du Mali.
Salimata Ouedraogo, 28 ans, a abandonné la culture des tomates en raison des fréquentes incursions armées et des tueries de ces dernières semaines.
Originaire du village de Thiou au Burkina Faso, elle est sans nouvelles de son mari depuis les attaques qui ont fait une centaine de morts en mars 2024.
En route pour Koro, à une dizaine de kilomètres de la ville, sous un soleil de plomb, elle explique les motifs de son exil forcé : « Ils (les hommes armés) sont venus vers 14 heures le 4 mars 2024. J’étais allée chercher du bois. A l’entrée du village, j’ai vu que ça n’allait pas bien parce qu’ils allaient maison par maison pour tuer les gens. Je me suis cachée dans un trou avec mon fils de 7 ans qui était avec moi. Lorsque les attaques ont cessé après près de 2 heures, j’ai pris la route et j’ai continué avec mon enfant jusqu’à un village voisin. Au bout de quelques jours, devant l’insécurité grandissante et la multiplication des attaques dans chaque village, j’ai décidé de venir au Mali. »
«Je suis sans nouvelles de mon mari. Je ne me fais pas d’illusions, je suis presque sûre qu’il fait partie des personnes tuées dans notre village par les hommes armés».
La famille Kindo a fui les attaques de mars 2024 dans le village de Nodin au Burkina Faso, près de la frontière avec le Mali. Ils viennent d’arriver à Kiri, près de Koro, dans le centre du Mali.
Alidou a toujours vécu à Komsilga, son village natal, où il faisait du commerce et de l’agriculture, deux activités lucratives qui lui permettaient de subvenir à ses besoins.
« J’ai le cœur en miettes en fuyant Komsilga dans ces conditions. A Komsilga, j’avais tout ce dont un homme de mon âge a besoin pour vivre dignement : une maison, de la nourriture, une situation financière stable, des enfants à l’école. Ma famille et moi étions à l’aise. C’est le début d’une nouvelle épreuve, mais en tant que croyant, j’ai foi en un avenir meilleur et je prie pour que la paix revienne dans mon pays ».
L’aggravation de la violence au Burkina Faso et dans d’autres pays du Sahel central a détruit les moyens de subsistance et a provoqué des déplacements massifs de populations.
De façon générale, ces violences sont le fait d’individus armés qui se livrent à des massacres, des incendies de maisons, de récoltes et des destructions de biens dans les villages. Ils s’attaquent également à des écoles, des édifices religieux et même des convois humanitaires.
Ces violences extrêmes ont forcé des millions de personnes à fuir, cherchant refuge soit dans leur propre pays, soit dans les pays limitrophes faute de sécurité ou de moyens de subsistance.
En août 2024, on comptait environ 5,45 millions de réfugiés, demandeurs d’asile et personnes déplacées internes dans la région du Sahel, incluant le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie selon les données compilées par UNHCR.
Des hommes armés ont dit à Ibrahim Youssouf » qu’il n’avait que quelques heures pour quitter sa maison » et il a suivi leur avertissement. En février 2019, il a fui son village de Gourom au Burkina Faso, à 100 kilomètres au nord de l’endroit où il vit aujourd’hui, à Dori.
La ville se trouve dans la région du Sahel au Burkina Faso, et accueille actuellement près de 15 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, un nombre qui augmente de jour en jour.
Les personnes déplacées ont déclaré avoir fui d’horribles attaques armées perpétrées par des individus non identifiés, au cours desquelles les hommes sont souvent tués et les femmes violées.
Les hommes armés pillent généralement les biens des familles et s’emparent de leur bétail. Souvent, ils exigent que les familles partent immédiatement. Les attaques ont augmenté en intensité, rendant l’accès à l’aide humanitaire difficile. « Notre village est vide. Tout le monde est ici. », confie Ibrahim Youssouf.
Situation humanitaire en Afrique de l’Ouest « extrêmement préoccupante «
La région du Sahel central, qui comprend le Burkina Faso , le Mali et le Niger , est confrontée à une crise humanitaire sans précédent. Cette crise a entraîné l’un des déplacements forcés les plus rapides au monde.
La dégradation de la sécurité et de la situation humanitaire au Burkina Faso, au Mali et au Niger a déclenché des mouvements de réfugiés vers le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo.
Au début de l’année 2024, plus 87 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont fui leur terroir pour trouver refuge dans les régions du nord de ces quatre pays, selon le Norwegian refugee council (NRC).
« La situation humanitaire en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel central est extrêmement préoccupante. Des millions de personnes sont touchées par des conflits armés, des déplacements forcés, et des crises alimentaires exacerbées par le changement climatique. Des pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger connaissent des niveaux alarmants de violence et d’insécurité, qui aggravent les conditions de vie des populations vulnérables », déclare Ousmane Drabo, porte-parole du Norwegian refugee council (NRC) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Plus de 180 000 Burkinabè déplacés par les violences dans leur pays sont réfugiés au Mali, d’après le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies.
Une situation qui devient de plus en plus difficile, notamment sur le plan humanitaire, d’après le rapport 2024 du NRC. » Les besoins humanitaires sont vastes, incluant la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable, les soins de santé, et l’éducation. Pour les réfugiés et déplacés internes, il est crucial d’améliorer l’accès à des services de base et de garantir des conditions de vie dignes. Les enfants déplacés, en particulier, nécessitent un soutien éducatif et psychosocial « , souligne M.Drabo joint par la BBC.
L’afflux des déplacés exacerbé par le changement climatique
Les troubles politiques, la violence, les conflits, le changement climatique et les catastrophes naturelles s’accumulent et déclenchent des crises d’une ampleur et d’une complexité inégalées.
L’extrémisme violent et le changement climatique sont deux des raisons principales qui expliquent l’afflux massif de personnes déplacées en Afrique de l’Ouest et du Centre.
Le réchauffement climatique vient accentuer les phénomènes extrêmes et modifier les conditions de vie dans sur une bonne partie de la planète.
L’arrivée de la saison des pluies a occasionné de graves inondations au Mali, au Niger au Nigéria, au Cameroun, au Tchad et ont considérablement aggravé les conditions de vie des réfugiés et des personnes déplacées internes dans la région.
Ces inondations ont détruit les maisons et les infrastructures et accru les dangers en matière de protection pour les plus vulnérables. Elles ont gravement affecté communautés, notamment les populations déplacées de force qui vivaient déjà dans des conditions très précaires.
Prises en étau entre l’avancée du désert, les aléas climatiques et les violences, des communautés entières n’ont d’autre choix que de fuir en laissant derrière elles leurs maisons, leurs troupeaux et leurs moyens de subsistance.
Alors que 80% de la population du Sahel dépend de l’agriculture pour survivre, les déplacés se retrouvent privés d’accès à leurs terres et à leur bétail. Les réfugiés, les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et les apatrides sont en première ligne de l’urgence climatique.
Lorsqu’un conflit éclate, il aggrave la pauvreté, augmente les déplacements et rend les populations de la périphérie de plus en plus vulnérables aux effets du changement climatique, créant ainsi un cycle dangereux qui s’auto-alimente.
La dernière note d’information du HCR publiée début septembre 2024 laisse apparaître une situation climatique et météorologique particulièrement préoccupante dans la région du Sahel central.
Niger : de graves inondations provoquées par de fortes pluies ont causé des dégâts considérables, en particulier dans les régions de Maradi, Dosso, Tillabery et Zinder, qui abritent également un grand nombre de personnes déplacées. Depuis le début des pluies au mois de juillet, plus de 217 personnes sont mortes et plus de 700 000 ont été affectées. Les inondations ont dévasté de nombreuses infrastructures, notamment des routes et des terres agricoles, et perturbé la scolarité de plus de 39 000 enfants. L’accès aux zones où sont installés les réfugiés a été compromis et l’armée a donc dû trouver d’autres itinéraires pour les opérations de secours.
Nigéria : de graves inondations ont touché 29 des 36 États du pays, affectant plus de 600 000 personnes. Au moins 200 personnes sont mortes et plus de 225 000 ont été déplacées. Parmi ces dernières, nombreuses sont celles qui avaient déjà été déracinées par les conflits et les conséquences du changement climatique. La destruction de plus de 115 000 hectares de terres agricoles pourrait aggraver la situation en matière d’insécurité alimentaire, alors que 32 millions de personnes dans le pays sont déjà confrontées à une faim aiguë.
Tchad : la situation est alarmante. Les 23 provinces du pays ont été touchées par des inondations depuis juillet. Selon les autorités tchadiennes et les organisations humanitaires, plus de 964 000 personnes (166 000 ménages) ont été touchées par les inondations à la date du 25 août 2024. Les communautés de réfugiés dans l’est du Tchad sont particulièrement vulnérables, avec plus de 40 000 personnes affectées. Jusqu’à présent, 145 personnes sont ont perdu la vie , plus de 251 000 hectares de terres ont été submergés, plus de 70 000 habitations ont été détruites et 29 000 têtes de bétail ont péri selon le décompte du HCR.
Cameroun : entre le 11 et le 21 août dernier , des pluies torrentielles ont détruit plus de 8600 habitations, inondé des milliers d’hectares de terres agricoles et de cultures et causé la perte de milliers d’animaux. Près de 19 000 ménages soit 159 000 personnes, ont été affectés, dont près de 50 000 réfugiés.
D’ici 2050, les facteurs climatiques pourraient contraindre jusqu’à 32 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays en Afrique de l’Ouest, selon une étude de la banque mondiale.
Le Niger en comptera le plus grand nombre, suivi du Nigéria, mais le nombre de migrants climatiques internes sera proportionnellement plus élevé dans des pays de plus petite taille comme le Sénégal et le Bénin.
L’escalade de la violence armée, l’instabilité économique et la sécheresse devraient encore aggraver l’insécurité alimentaire tout en réduisant l’accès à l’aide humanitaire dans la région du Sahel, selon les prévisions des organisations humanitaires.
Immenses défis et lueurs d’espoir
Environ 37 % des personnes déplacées de force soit 46 millions de personnes se trouvent en Afrique, dont environ 8,9 millions de réfugiés et 35 millions de déplacés internes.
Bien qu’il ne représente que 0,9 % de la population mondiale, le Sahel central représente 5 % des besoins humanitaires mondiaux.
Malgré les défis colossaux et une situation qui ne cesse de se détériorer sur le terrain, des motifs d’espoir subsistent selon les organisations humanitaires.
« La résilience des communautés est inspirante, et des initiatives locales montrent que des solutions sont possibles. L’engagement croissant des acteurs humanitaires et la relative prise de conscience internationale des crises en cours offrent des perspectives pour une action concertée », pointe Ousmane Drabo, porte-parole du Norwegian Refugee Council (NRC) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Neuf des dix premières crises de réfugiés les plus négligées sont africaines selon le rapport du HCR qui met en garde contre « l’apathie et l’inaction » face à la montée en flèche des déplacements.
Quant au rapport 2024 du NRC, il classe la crise de déplacement du Burkina Faso comme la plus négligée pour la deuxième année, avec deux millions de déplacés et 36 000 réfugiés.