- Author, Isidore Kouwonou et Boubacar Diallo
- Role, BBC Afrique
La classe politique est en colère en Guinée. La cause, les décisions de la junte au pouvoir qui a dissout une cinquantaine de partis politiques, avec plusieurs dizaines d’autres suspendus et mis sous observation. Ceci, suite au rapport d’évaluation du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.
Ces décisions ont surtout mis en courroux les leaders de l’opposition qui fustigent les résultats de cette évaluation et parlent de musèlement et une tentative d’empêcher les partis politiques de fonctionner correctement en Guinée.
: « C’est une façon de dissuader les partis politiques parce que nous pensons qu’on aurait dû s’assoir ensemble, décider des questionnaires en fonction de la charte des partis politiques », a indiqué à BBC Afrique Al Hussein Makanera Kaké, le président du Front national pour le développement (FND).
Pour ce dernier, il n’est pas question qu’on impose des choses aux responsables des partis politiques et que les tenants du régime en Guinée « fassent une évaluation à leur guise ». « Et cela, nous pensons que ce n’est pas normal ».
Selon la direction nationale des affaires politiques et de l’administration électorale, organe du ministère de l’Administration territoriale qui a mené cette évaluation, les résultats rendus publics sont en conformité avec les lois qui régissent les formations politiques en République de Guinée.
Mais alors qu’est-ce qui motive cette évaluation et quelles peuvent être ses conséquences pour le champ politique dans le pays ?
Les motivations qui sous-tendent cette évaluation
Le régime militaire au pouvoir indique qu’il veut assainir le milieu politique en régularisant la situation des partis politiques. Les autorités militaires ayant constaté que nombreuses sont des formations politiques qui n’existent que de nom.
« Cet exercice républicain sera désormais un processus régulier qui va permettre à chaque parti politique d’être une association à but politique et non une entreprise personnelle où le leader est le patron qui recrute, qui paie et qui sanctionne en fonction de la tête du client », a déclaré Ibrahim Khalil Conde, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, lors de la présentation des résultats de cette évaluation.
Rafiou Sow, président du Parti du renouveau et du progrès, a fait le constat que depuis l’adoption de la loi fondamentale sous le président Lansanna Conté en 1990, et la création des partis politiques en 1992, le fonctionnement des formations politiques en Guinée a toujours posé problème.
« Ça, il faut avoir le courage de le dire. Ils ont fait un bon travail. C’est vrai, aucune œuvre humaine n’est parfaite », a-t-il dit.
« Par ce travail, les autorités en charge des activités politiques et du processus électoral tenaient à assainir l’espace politique, à faire en sorte que désormais, les formations qui animent l’échiquier politique respectent les termes de la loi organique portant charte des partis politiques », peut-on lire dans le document de près de 900 pages présenté aux Guinéens mardi.
L’évaluation
L’évaluation des partis politiques a porté essentiellement sur leur fonctionnement administratif. Sur les 174 partis, aucun n’est en règle totalement. Ceci a conduit à la dissolution d’une cinquantaine, la suspension d’une autre cinquantaine pour agrément non valide, absence de compte bancaire ou encore gestion trop opaque et la mise sous observation d’autres.
« Quand on lit un peu le rapport, on se rend compte que plusieurs critères ont prévalu à la suspension dans un certain cas, ou à la dissolution dans un autre cas de certains partis politiques, notamment la considération qu’il ait un agrément ou pas, est-ce qu’ils participent aux élections, est-ce qu’ils ont une reconnaissance légale ou est-ce qu’ils sont localisés », a indiqué à BBC Afrique Kabiné Fofana, analyste politique guinéen.
Il a ajouté : « Je pense que quand on lit en filigrane le rapport, on se rend compte qu’il y a des partis politiques qui, depuis mille neuf cent quatre-vingt-onze, n’ont pas de représentation nationale. Ils ne fonctionnent pas du tout, parce que le bureau n’existant plus ou quelquefois les agréments qu’ils ont ne sont pas lisibles ».
Les formations politiques suspendues ou mises en observation ont jusqu’à trois (03) mois pour se régulariser. Cette observation concerne aussi des principaux partis comme l’UDG, le RPG et l’UFR accusé de défaut de preuve de paiement des cotisations, non tenue de congrès et autres.
Ces derniers peuvent toutefois poursuivre leurs activités, mais doivent se conformer aux règles dans le délai des trois mois indiqué par le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation.
Redéfinition des cartes sur le paysage politique guinéen ?
Pendant que certains leaders politiques, surtout de l’opposition pensent que ces décisions participent au musèlement des formations politiques et à un frein à leur bon fonctionnement, des analystes indiquent que c’est un moyen permettant au pays de disposer d’un fichier propre des partis, ce qui pourrait donner une autre dynamique au champ politique.
« Vous savez, il y a l’activité des partis politiques qui est régulée par la charte des partis politiques. Cette charte-là définit un peu les conditions de constitution, les conditions de suspension ou même de dissolution des partis politiques », a fait savoir Kabinet Fofana.
Il reconnaît tout de même que le régime militaire aurait pu aller par pédagogie afin que « les partis n’y voient pas une démarche de nature qui s’apparenterait à une sorte de chasse aux sorcières ».
Dans le contexte guinéen marqué par des tensions permanentes surtout à l’approche des élections prévues en principe en 2025, l’analyste politique suggère que les partis dissous se reconstituent en respectant au maximum les règles et que ceux qui sont en observation trouvent rapidement des solutions à leur situation.
« Je pense que tout ceci doit se faire dans une démarche constructive et qui ne soit pas du tout perçue comme une manière de d’éliminer ou de ou de ou de faire disparaître des partis politiques. On sait que les élections arrivent, la démarche peut se comprendre que l’on veuille assainir un peu le fichier des partis politiques », a ajouté M. Kabinet, tout en insistant sur la pédagogie qui devrait précéder ces décisions.
En Guinée, certains partis ont toujours appelé à l’assainissement du paysage politique. La dissolution de la cinquantaine de partis peut redéfinir le champ politique et donner une plus large visibilité à d’autres qui sont jugés en règle avec l’autorité.
Si les partis dissouts ou suspendus ne trouvent pas de solution à leur situation, cela veut dire qu’ils ne participeront pas au processus électoral qui va peut-être s’ouvrir bientôt dans le pays.
Les partis du président déchu Alpha Conde et de l’opposant Cellou Dalein Diallo sont sous menace de suspension, alors que les deux leaders sont toujours en exil. Ces deux grands partis pourraient ne pas prendre part aux prochaines élections. Ce serait une grande première en Guinée où ces partis ont toujours animé la vie politique du pays.
La marge de manœuvre
Selon Kabiné Fofana, les partis politiques concernés par ces décisions ont encore une chance de faire valoir leur existence. « Vous savez, n’importe quelle décision peut donc être attaquée en annulation, soit par la voie du ministère de l’Administration du territoire, tout comme par voie judiciaire », a-t-il dit.
Mais ces partis, a-t-il poursuivi, doivent avoir des éléments tangibles et factuels qui puissent prouver qu’ils ont été lésés dans les démarches qui ont abouti à ces décisions des autorités militaires du pays.
« C’est là où c’est vraiment important la démarche. Donc s’ils pensent qu’ils sont en règle, ils peuvent ils peuvent faire un recours gracieux tout comme un recours judiciaire en annulation », a-t-il souligné.
En Guinée, les élections annoncées pour 2025 approchent à grands pas. La Charte de la transition n’autorise pas les membres du CNRD au pouvoir à se présenter à la présidentielle.
Dans un entretien avec BBC Afrique en juillet, le Premier ministre a confirmé la tenue d’nn référendum constitutionnel « à la fin de l’année. »