- Author, Isidore Kouwonou
- Role, BBC Afrique
L’opposant malien, Issa Kaou N’Djim a passé sa première nuit en détention. Il a été arrêté ce mercredi suite à une plainte du Conseil supérieur de la Communication (CSC) du Burkina Faso qui l’accuse d’avoir offensé le pouvoir militaire burkinabé.
Amnesty International dénonce cette arrestation et appelle à « la libération immédiate d’Issa Kaou N’Djim, acteur politique placé sous mandat de dépôt ». « Nous appelons au respect de la liberté d’expression et du droit à l’information au Mali », ajoute l’Ong international de défense des droits humains.
M. Kaou N’Djim a été arrêté pour « offense commise publiquement envers un chef d’État étranger » après une émission animée sur une chaîne radio privée malienne, Joliba TV News le dimanche 10 novembre dernier.
Déjà, le Collectif pour la défense des militaires, une organisation de la société civile au Mali, appelle la Haute autorité de la communication pour des sanctions appropriées à la chaîne Joliba TV News.
Mohamed Attaher Halidou, directeur de la Chaîne de télévision incriminée, est convoqué ce jeudi par la HAC. Il sera écouté par la commission des médias et des TIC, selon les informations.
Ce qu’il s’est passé
Issa Kaou N’Djim était reçu dans une émission dénommée « Le rendez-vous des idées » sur la chaîne locale malienne Joliba TV News le dimanche 10 novembre dernier.
Au cours de l’émission, l’opposant malien avait qualifié de « montage » ce que les autorités militaires burkinabé appellent tentative de déstabilisation de leur pays avec une somme de 5 milliards de FCFA.
Selon lui, la nouvelle affaire de tentative de coup d’Etat présentée par les autorités du Burkina est une « mise en scène » qui n’est « même pas professionnel », et donc vise « à détourner l’attention de l’opinion sur les vraies questions ».
Ces propos de l’opposant malien ont déplu aux autorités burkinabé, notamment le Conseil supérieur de la Communication (CSC) du Burkina Faso qui a envoyé un courrier de plainte à la Haute autorité de la communication (HAC) du Mali le mardi 12 novembre 2024.
Le CSC dénonce des propos tendant à jeter du discrédit sur les autorités burkinabé. Dans son courrier, l’instance de régulation du Burkina fait mention de propos « gravissimes, désobligeants et à la limite insultants pour le peuple burkinabé ».
Le CSC a demandé à la HAC du Mali de réserver toute suite qu’elle jugera appropriée à la diffusion de cette émission.
Dans la matinée de ce mercredi 13 novembre, Issa Kaou N’Djim a été interpellé à son domicile. Il est poursuivi pour « offense commise publiquement envers un chef d’Etat étranger et injures par le biais de systèmes d’information ».
Selon l’Agence France Presse (AFP) qui cite une source judiciaire, l’opposant est gardé dans une unité d’enquête pour affaire le concernant. Il sera gardé jusqu’au 12 février prochain, date à laquelle est prévu son jugement.
Qui est Issa Kaou N’Djim ?
Personnalité politique malienne, président de l’organisation politique ACRT(Appel Citoyen pour la Réussite de la Transition) Faso Ka Wélé, Issa Kaou N’Djim est connu pour être un habitué des plateaux de télévision, un chroniqueur qui n’hésite pas à critiquer les militaires au pouvoir au Mali à la suite du coup d’Etat de 2020.
Il était proche du président du Mali, Assimi Goîta. Il a occupé la vice-présidence du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif du pouvoir militaire dans le pays, avant de rompre avec le régime militaire.
Il s’est prononcé en faveur de la fin rapide de la période de transition censé rétablir des civils au pouvoir. Il y a trois ans, M. Kaou N’Djim a été emprisonné et condamné à une peine avec sursis pour « atteinte au crédit de l’Etat et injures commises via les réseaux sociaux », suite à des critiques formulées à l’endroit du Premier ministre de transition Choguel Maïga.
C’est également un proche de l’Imam Mahmoud Dicko, un farouche opposant du régime militaire, exilé en Algérie.
Le Mali, membre de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) avec le Burkina Faso et le Niger, est confronté à un problème d’insécurité avec les groupes armés qui mènent des attaques sur son territoire.
Depuis le coup d’Etat de 2020 avec l’arrivée au pouvoir des militaires du Conseil national de transition (CNT) dirigé par le Colonel Assimi Goïta, ce dernier avait promis mettre fin à cette insécurité dans le pays. Il avait également promis la fin la transition avec des nouvelles élections qui verront l’arrivée au pouvoir des civils. Mais cette promesse tarde à se réaliser.
A côté, la sécurité des biens et des personnes est mise à rude épreuve dans le pays. Les élections ont été repoussées à plusieurs reprises, les autorités militaires estimant que les conditions sécuritaires ne sont pas encore réunies pour les organiser. Elles prennent alors des mesures drastiques pour, dit-on, instaurer l’unité du Mali.
Des mesures qui sont parfois critiquées par des défenseurs des droits de l’homme. L’Expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Mali, Alioune Tine, dans un rapport publié en avril 2024 s’est déclaré très préoccupé par des « restrictions croissantes » aux droits humains et aux libertés fondamentales.
Malgré ces restrictions, a-t-il affirmé, la sécurité ne s’améliore pas au Mali. Selon le rapport, entre novembre et décembre 2023, le nombre d’écoles fermées pour cause d’insécurité et de crise humanitaire a augmenté de 2,6%.
Pour le journaliste Issiaka Tamboura, Directeur de la Rédaction à Soft Investigation au Mali, les autorités militaires tentent à leur manière de contrôler la situation, et le contrôle de la liberté d’expression entre dans leur logique.
Il affirme que l’opposant Issa Kaou N’Djim est connu pour ses critiques envers les autorités de la transition. « Et il n’est pas obligé de croire à cette histoire de tentative de coup d’Etat au Burkina Faso. Il a émis son opinion », indique Issiaka Tamboura qui manifeste son indignation face à l’arrestation de l’homme politique malien.
En ce qui concerne l’état de la liberté d’expression au Mali, le directeur de rédaction de Soft Investigation indique qu’il ne peut pas clairement affirmer qu’elle est en danger « du moment où moi-même je me mets en danger en déclarant ouvertement que cette liberté d’expression est en danger ».
Il souligne par ailleurs que la sécurité, l’humanitaire, les déplacés internes, les attaques des groupes armés, la vie chère au Mali ne sont pas des faits à imputer aux autorités militaires, puisque le pays prend ces coups avant même leur arrivée au pouvoir.