La Commission nationale de recensement des votes vient de proclamer les résultats provisoires issus des élections législatives du 17 novembre 2024 . Ils confirment les tendances annoncées par les médias depuis dimanche.
La liste de Pastef dirigée par le premier ministre Ousmane Sonko arrive largement en tête des suffrages.
Ousmane Sonko et son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) remportent 130 sur les 165 sièges du parlement.
Une victoire « écrasante » et donc une majorité absolue qui sonne comme une confirmation de la présidentielle et du choix des Sénégalais d’opérer une rupture profonde dans la gouvernance publique.
Traditionnellement, les électeurs sénégalais ont toujours donné aux présidents nouvellement élus une majorité confortable au Parlement, leur permettant ainsi de mettre en œuvre leurs réformes et de matérialiser leurs promesses électorales.
Retour sur les principales leçons d’un scrutin qui dessine une nouvelle reconfiguration de l’échiquier politique.
Répartition des voix et des sièges :
Pastef : 1 991 770 voix (54,97%) – 130 sièges
Coalition Takku Wallu Sénégal : 531 466 voix (14,67%) – 16 sièges
Coalition Jam ak Njarin : 330 865 voix (9,15%) – 7 sièges
Coalition Samm Sa Kaddu : 222 060 voix (6,13%) – 3 sièges
Coalition And Nawlé : 47 636 voix (1,31%) – 2 sièges
Sénégal Kesse : 25 822 voix (0,71%) – 1 siège
Coalition Kiraay ak Natangue : 26 775 voix (0,74%) – 1 siège
Coalition And Kolute Ngir Sénégal : 21 391 voix (0,59%) – 1 siège
Coalition Bessal Sénégal : 20 765 voix (0,57%) – 1 siège
Coalition Farlu : 28 303 voix (0,78%) – 1 siège
Sopi Sénégal : 22 991 voix (0,63%) – 1 siège
Les Nationalistes : 26 876 voix (0,74%) – 1 siège
Taux de participation à 49,72% : quelle lecture en faire ?
Quelque 7,3 millions d’électeurs étaient appelés à élire les 165 députés devant siéger à l’Assemblée nationale pour un mandat de cinq ans.
Les Sénégalais ont massivement renouvelé leur confiance au parti au pouvoir le Pastef et à son leader Ousmane Sonko, toutefois la mobilisation des électeurs n’a pas été au niveau de la dernière présidentielle.
Avec un taux de participation estimé à 49,72 %, légèrement en hausse par rapport aux législatives de 2022 (46.6 %) mais bien en deçà du taux enregistré lors de la présidentielle du 24 mars dernier (61%), ces élections législatives anticipées restent globalement dans la tendance constatée pour des élections législatives au Sénégal.
Cette relative démobilisation des électeurs pour l’élection des députés s’explique par la nature différente des élections, les élections présidentielles cristallisant plus d’enjeux suscitent naturellement plus d’intérêt chez les citoyens ce qui se traduit dans les urnes par une forte participation.
Taux de participation aux précédentes législatives :
- 2024 : 49,72%
- 2022 : 46,64%
- 2017 : 53,66 %
- 2012 : 36,67 %
- 2007 : 34,75 % (marqué par un boycott de l’opposition significative)
- 2001 : 67,4%
Ousmane Sonko, le grand gagnant
En choisissant de diriger la liste de son parti et d’aller seul à ces législatives anticipées, Ousmane Sonko, figure charismatique et chef du gouvernement a pris et assumé un risque politique qui s’est finalement avéré payant.
Cette victoire est donc une revanche personnelle pour le président du Pastef, dont la candidature à l’élection présidentielle avait été invalidée et qui l’avait contraint de revoir ses plans en propulsant au-devant de la scène le président Bassirou Diomaye Faye, élu dès le premier tour avec 54% des voix.
Les résultats officiels provisoires des législatives anticipées confirment l’hégémonie du Pastef, qui après avoir conquis l’Exécutif, se donne ainsi les moyens de concrétiser les promesses grâce à une écrasante majorité au Parlement.
L’enjeu était en effet de taille pour le chef du gouvernement et son parti qui visaient la majorité absolue à l’assemblée nationale afin d’avoir les coudées franches pour mettre en oeuvre son programme « rupture » et mener à bien ses réformes.
L’actuel Premier ministre aura ainsi pesé de tout son poids et usé de son influence politique pour opérer une véritable razzia électorale et rafler les 130 sièges sur les 165 de l’hémicycle. 40 des 46 départements sont tombés dans l’escarcelle du parti présidentiel, seuls six ont échappé à la déferlante du Pastef.
Ousmane Sonko démontre une nouvelle fois qu’il est sans doute l’homme politique le plus influent du Sénégal. Ce succès électoral qui porte sa signature personnelle va asseoir un peu plus sa légitimité politique.
Mercredi lors de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, le Président Bassirou Diomaye Faye a salué « son engagement personnel et son leadership »
« Le Chef de l’État a adressé ses sincères félicitations à Ousmane Sonko, Premier ministre et président de Pastef, pour son engagement personnel et son leadership, qui ont permis à son parti d’obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale », indique le communiqué du Conseil des ministres.
« Ce plébiscite, après celui de l’élection présidentielle du 24 mars, traduit l’appréciation positive portée sur les réalisations enregistrées au cours de ces sept premiers mois de pouvoir, gage de la tenue des ruptures promises », a souligné Ousmane Sonko lors du Conseil des ministres tenu le mercredi 20 novembre.
L’échec de Macky Sall
Pour l’ex-chef de l’Etat Macky Sall, tête de liste de la coalition Takku Wallu, composée principalement de l’APR et du PDS de Me Abdoulaye Wade, le retour sur le devant de la scène politique est un échec. La coalition politique menée par l’ancien président a essuyé une nouvelle défaite électorale en l’espace de huit mois.
Absent du pays depuis son départ de la présidence et exilé au Maroc, l’ancien président n’a pas réussi à contrer la vague victorieuse de Ousmane Sonko et du camp présidentiel.
L’ex-président a vu plusieurs de ses bastions basculer du coté du pouvoir, c’est le cas notamment de son fief historique, la région de Fatick (Centre Ouest).
Il aura tout de même réussi à conserver quelques bastions électoraux, principalement dans le Fouta (Nord Est) où il arrive en tête dans 3 départements (Matam, Kanel Ranérou Ferlo), en plus du département de Goudiry (région de Tambacounda à l’est ) et le département de l’Afrique centrale, une des circonscriptions de la Diaspora.
Macky Sall qui n’aura pas fait campagne pour ces élections anticipées, échoue donc dans sa quête de cohabitation.
Amadou Ba et Barthelemy Dias, les grands perdants
Arrivé second à l’issue de l’élection présidentielle et crédité de 35.79% des suffrages, Amadou Ba est l’autre grand perdant de ces élections législatives anticipées.
Considéré par de nombreux observateurs comme le leader de l’opposition au lendemain de la présidentielle, l’ex premier ministre qui dirigeait la coalition « Jamm Ak Njarin » risque de perdre en crédit dans l’optique d’une reconfiguration de l’espace politique dans les semaines et mois et à venir.
Dans sa bataille de positionnement vis à vis de ses ex alliés de l’APR, Amadou Ba perd du terrain par rapport à la présidentielle mais peut s’estimer heureux d’avoir remporté un département symbolique, celui de Podor, dans le nord-est, jusque là un fief électoral de l’APR, le parti de son ancien leader Macky Sall.
La bataille de Dakar était très attendue. Elle est finalement remportée par le Pastef devant la coalition Samm Sa Kaddu dirigée par Barthelemy Dias, le maire de Dakar.
La coalition de l’opposition qui a souffert de son absence de projet politique a été battue dans tous les départements y compris celui de Dakar.
La défaite du maire de Dakar face au Pastef d’Ousmane Sonko sonne comme un désaveu pour Barthélémy Dias qui avait fait de la suprématie dans la capitale, une affaire personnelle notamment dans sa rivalité politique contre Pastef et son leader Ousmane Sonko.
Ce nouveau revers à Dakar , huit mois après celui de son leader Khalifa Sall à la présidentielle, constitue un virage décisif dans la quête du leadership tant convoité de la capitale sénégalaise.
A quoi peut-on s’attendre maintenant ?
C’était une des raisons invoquées pour justifier la dissolution de l’assemblée nationale par le président Diomaye Faye.
La majorité absolue aux législatives devrait permettre au chef de l’Etat sénégalais de mener à bien ses réformes contenues dans le programme de transformation économique Sénégal 2050, même si son premier défi sera d’élaborer un budget dans un contexte de crise budgétaire.
Un projet de budget 2025 sera présenté à l’Assemblée nationale dès l’installation de la nouvelle législature dont l’installation est prévue dans les quinze jours.
« Nous avons besoin d’avoir les moyens législatifs, pouvoir faire passer nos lois, contrôler l’action gouvernementale, mener la reddition des comptes. Tous ceux qui sont impliqués dans des choses pas nettes en rendront compte. Or seule une Haute Cour de Justice peut juger des personnalités comme les ministres ou le Président de la République, et seule l’Assemblée nationale a le pouvoir de mettre sur pied cette Haute Cour de Justice. C’est pourquoi nous avons besoin que les Sénégalais nous donnent une majorité écrasante ».
Ousmane Sonko en avait fait le serment, en cas de victoire et de majorité absolue, la Haute Cour de Justice serait installée pour juger les dignitaires de l’ancien régime coupables de corruption et de faits assimilables à de la « haute trahison ».
Cette juridiction spéciale est chargée de juger le Président de la République en cas de haute trahison et les membres du gouvernement coupables de crimes ou délits dans l’exercice de leurs fonctions. Elle est présidée par le plus haut magistrat de l’ordre judiciaire du Sénégal, notamment le premier président de la Cour suprême.
Selon la Constitution sénégalaise, un ancien président peut être mis en accusation par l’Assemblée à la majorité des trois cinquièmes, et jugé par la Haute Cour.
Abrogation de la loi d’amnistie
C’était un des engagements du candidat Bassirou Diomaye Faye et de son premier ministre Ousmane Sonko, l’abrogation en cas de majorité absolue au parlement, de la loi d’amnistie concernant les crimes et délits commis lors des crises politiques entre 2021 et 2024. Cette loi a été votée par les parlementaires de la majorité présidentielle sous Macky Sall.
Malgré le fait qu’il ait été le principal bénéficiaire de la loi d’amnistie, avec la libération de centaines de ses sympathisants et surtout de ses leaders Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, le parti Pastef a rejeté le texte de loi.