Mercredi 30 octobre, sur RFI, les auditeurs ont pu vivre au diapason du « combat du siècle », organisé fin octobre 1974 à Kinshasa, dans le Zaïre de Mobutu Sese Seko. Grand reportage, Appels sur l’actualité, Couleurs tropicales… Toute la journée, ils ont pu vivre ou revivre, à travers les journaux et diverses émissions de la station, d’émouvants moments. Pourquoi donc considérez-vous tout cela un magnifique cadeau à plusieurs générations d’Africains ?
Parce que c’en est un. Des premières lueurs de l’aube jusqu’au cœur de la nuit, nous avons pu vivre ou de revivre ce combat et tous les spectacles, autour. Souvenirs émus, pour les anciens, nos aînés et nombre d’entre nous. Les jeunes frères, qui en avaient seulement entendu parler, ont pu le vivre, comme s’ils y étaient. Pareil pour nos enfants et les plus jeunes. Cette journée était meilleure qu’une simple résurrection intelligente de sons et d’images d’archives du gala de boxe et des concerts. C’était un autre festival vivifiant sur les grandes retrouvailles entre les citoyens de l’Afrique indépendante et leurs frères de la diaspora, déportés durant l’esclavage. Certains Congolais ont déploré que la RDC ait oublié de célébrer l’événement. Mais toute l’Afrique l’a célébré, avec intensité et passion, à travers RFI.
Le rappel de ce passé un peu glorieux aurait pu inspirer aux Congolais la petite introspection qui les poussera à en finir avec le destin peu enviable qu’imposent à leur peuple des dirigeants peu soucieux de mettre leurs actes en adéquation avec leurs discours. Car, avec d’aussi gigantesques richesses, le très éloquent Mobutu aurait pu faire de son Zaïre le phare du continent, s’il ne se cantonnait pas au seul verbe, aux beaux discours.
Mobutu a réussi à attirer la lumière sur son pays. Il l’a même fait briller, et pas qu’en octobre 1974…
Mais, qu’en est-il resté ? Oui, un an tout juste avant le « combat du siècle », Mobutu avait, en effet, ébloui l’Assemblée générale des Nations unies, par un discours de la veine de celui que tiendra Thomas Sankara, onze ans plus tard. C’est là que, évoquant les circonstances de l’accession de son pays à l’indépendance, il avait soutenu que l’ancien colonisateur avait déployé des efforts pour démontrer que mon peuple était incapable de se gouverner. « En une nuit, mon pays s’est effondré, comme un château de cartes. Et les experts en matière de colonisation en ont hâtivement déduit une incapacité congénitale du peuple zaïrois, et soutenu que l’indépendance des pays neufs était une mauvaise opération ». Et il impressionnait par son sens des formules. Comme lorsqu’il expliquait qu’à son accession à la souveraineté internationale, le Zaïre, quatre-vingt fois plus grand que la Belgique qui l’a colonisé, comptait moins de dix cadres ayant achevé des études supérieures, et pas un seul cadre zaïrois dans l’administration, l’armée ou le secteur privé.
Voir le charismatique Mobutu accueillir, en terre africaine, Mohamed Ali, James Brown et toutes ces brillantes vedettes afro-américaines et africaines, ne rendait que plus admirative une jeunesse continentale au sang bouillonnant de panafricanisme. C’était peu avant la diffusion, sur les télévisions africaines, de la mini-série Roots, tirée de l’œuvre d’Alex Haley. Cette vivifiante exaltation du cordon ombilical entre les Noirs d’Amérique et le continent africain de leurs origines était presqu’une religion.
Cela explique-t-il que les Afro-Américains aient aussi facilement vu en Mobutu un leader à admirer ?
Il avait du bagou, et savait séduire ses hôtes étrangers. Surtout, ces rencontres afro-américaines au Zaïre survenaient quelques mois après la chute de l’empereur Haïlé Sélassié d’Éthiopie, un dieu vivant pour nombre d’Africains de la diaspora, surtout pour les panafricanistes des Amériques. Mobutu a échoué à marquer l’Histoire, parce qu’il se contentait du verbe. Trop narcissique, trop obnubilé par le côté jouissif du pouvoir être comme un héros durable.
Vingt-sept ans après sa chute, ses compatriotes peuvent regretter son envergure flamboyante, que n’a aucun de ses trois successeurs. En commun avec lui, ils n’ont que la dévorante envie de s’éterniser au pouvoir, sans montrer en quoi leur présidence sans fin concourt au mieux-être d’un peuple qui n’en peut plus de les subir.