En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, le prix du cacao pour la grande campagne de commercialisation a été fixé ce lundi à 1 800 francs CFA le kilo (l’équivalent de 2,7 euros). Une augmentation importante par rapport à l’année dernière alors que le prix de la fève a flambé sur les marchés mondiaux.
L’économiste François Ruf, spécialiste du cacao, est l’invité d’Afrique midi.
RFI : En Côte d’Ivoire, le gouvernement a fixé à 1 800 francs CFA (l’équivalent de 2,70 euros) le prix d’achat du kilo de cacao pour la saison prochaine, en forte hausse par rapport à l’année dernière. Vous êtes économiste et spécialiste du cacao, que pensez-vous de ce nouveau prix du cacao ivoirien ? Est-il cohérent avec l’envolée des cours mondial ?
François Ruf : Oui et non. Je vais vous faire une réponse de normand. C’est cohérent dans la mesure où le cours mondial a explosé, « il est passé à travers le toit » comme disent les anglophones, multiplié par 3 en dollars courants, donc la Côte d’Ivoire ne pouvait pas ne pas suivre un minimum. Maintenant, cette augmentation, qui est effectivement relativement importante par rapport au prix passé qui était encore de 1 000 francs il y a il y a un peu plus d’un an, n’est pas tout à fait cohérente ou proportionnelle à l’augmentation du cours mondial.
Comment le prix est-il fixé ? Pourquoi 1 800 francs CFA et pas un autre nombre ? Pourquoi pas 5 000 francs CFA comme c’était le cas par exemple dans un pays comme le Cameroun le mois dernier ?
La Côte d’Ivoire, même si elle se diversifie, progresse et affiche des taux de croissance parmi les plus élevés d’Afrique de l’Ouest, reste encore très dépendante du cacao. Contrairement au Cameroun pour qui le cacao est une source de devises relativement secondaire, la Côte d’Ivoire a besoin de continuer à prélever sur le secteur. Donc, elle ne peut pas, a priori, se permettre d’augmenter et de laisser les prix du cacao filer aussi proche du cours mondial, comme cela se produit actuellement au Cameroun. Les prélèvements sont jugés nécessaires. La seconde raison, c’est que la Côte d’Ivoire n’est pas une île dans le Pacifique, à des centaines de kilomètres du concurrent, il faut s’aligner à peu près avec la réalité des voisins. Par exemple, le Ghana, le second producteur mondial, avait déjà pris un peu d’avance en fixant le prix autour de 1 800 francs CFA en équivalent dans leur monnaie locale.
La Côte d’Ivoire s’aligne sur le Ghana, ce qui signifie tout de même une hausse des prix. Est-ce que cela va améliorer les conditions de vie du planteur, ou est-ce que l’inflation va de toute façon en réduire la portée comme on l’a vu notamment au Ghana ?
Oui et non. Parce que, même si ce n’est pas très important, il faut quand même rappeler qu’il y a une partie de la récolte qui a été vendue par les planteurs entre avril et septembre autour de 1 500 francs CFA, le prix officiel à l’époque, que certaines coopératives ont acheté, stocké et vont revendre à 1 800 francs CFA en octobre. Ce sont pas les planteurs qui profitent des dernières ventes avant la hausse actuelle. Il faut aussi rappeler que beaucoup de planteurs ont leur cacaoyère touchée durement par la maladie duswollen shoot (virus de l’œdème des pousses du cacaoyer, en français, NDLR), que les rendements ont chuté dans beaucoup de régions et que, pour eux, le meilleur prix ne sert à rien, comme ils disent, s’il y a plus de cacao. Ces deux nuances étant faites, oui, globalement, le prix devrait être respecté en Côte d’Ivoire parce que la demande est forte et l’inflation va jouer sur le coût de la main d’œuvre, ce qui est une redistribution de revenus pour d’autres acteurs de la filière, mais risque de peser aussi sur les intrants bien sûr. Je parlais encore avec quelques planteurs hier, il me disait qu’ils savent bien – ce sont de bons économistes, les planteurs, très rationnels et qui ont de l’expérience – ils savent bien que, lorsqu’il y a une augmentation de prix, tout augmente. Par exemple, ils ont beaucoup d’enfants scolarisés en ville et ils savent que le loyer des maisons vont augmenter, que les frais de scolarité vont augmenter, par conséquent, ils restent attentifs. Donc oui, il y a un risque de rattrapage par l’inflation, mais tout de même pas au point du Ghana dont le problème est une monnaie constamment dévaluée. Les planteurs sont tout de même protégés par la stabilité monétaire.
Un autre problème qui affecte la production, c’est la contrebande. Est-ce que ce nouveau prix est en mesure de dissuader les producteurs ivoiriens d’écouler leur production en douce, en quelque sorte, vers les pays voisins ?
À l’est, du côté du Ghana, oui. Puisqu’on a vu que le la Côte d’Ivoire s’est alignée. D’ailleurs, il semblerait même que le prix du cacao au Ghana commence à diminuer pour différentes raisons, y compris monétaires. Mais par contre, à l’ouest, le danger reste sensible, vers la Guinée, vers le Liberia. Le prix de 1 800 francs CFA peut freiner un peu les tentatives parce qu’on peut assez facilement vendre son cacao au Liberia ou en Guinée à 2 000 francs, voire un peu plus si les conditions de route s’améliorent dans ces pays. Oui, il y aura toujours de la contrebande vers l’ouest, ça paraît inévitable.
Vous parliez de cette maladie qui frappe les vergers, le swollen shoot. Est-ce que des tarifs plus élevés, comme ceux qui sont annoncés, sont de nature à encourager les producteurs à améliorer la rentabilité en remplaçant les cacaoyers qui sont malades ?
Dans un premier temps, c’est encore trop tôt pour le dire, on ne peut jamais vraiment se mettre à la place des planteurs. Mais ce qui s’est passé durant qu’on appelle la petite traite, la récolte entre avril et septembre, avec le prix de 1 500 francs CFA. À ma grande surprise d’ailleurs, je dois dire, c’était quand même finalement une augmentation de 50 % du prix, en valeur courante. Cela a eu peut-être un impact sur la replantation, c’est trop tôt pour le dire, mais en tout cas sur l’entretien des plantations, même des vieilles plantations dégradées dont une grande partie des planteurs ont commencé à reprendre l’entretien. On peut espérer que, si l’inflation ne rattrape pas trop de l’augmentation de prix, que les planteurs soient incités à réinvestir. Alors, vont-ils réinvestir dans le cacao ? En partie peut-être, mais cela ne suffira sans doute pas pour contrer les énormes difficultés de replantation liées à la maladie et à bien d’autres problèmes.