La Côte d’ivoire fait face à une récrudescence des féminicides ces dernières années. La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes a récemment tiré la sonnette d’alarme, citant un rapport de l’association féministe du pays, qui indique que seulement en 2020, environ 416 femmes en ont été victimes.
C’est le meurtre le 11 septembre 2024, d’une jeune femme dans la capitale économique Abidjan, qui est venu raviver l’inquiétude au sujet des féminicides dans le pays.
Le corps sans vie de la jeune fille âgée de 19 ans, a été retrouvé dans une résidence meublée à Cocody deux-Plateaux, vallon dans l’Est d’Abidjan.
Interpellé par la police, le présumé meurtrier qui aurait entretenu une relation avec la victime, selon les médias locaux, est vite passé aux aveux.
« Il a avoué avoir donné la mort à sa victime à l’aide d’un couteau le 07 septembre 2024. Il évoque comme motif que la fille lui aurait volé son argent d’un montant de 500.000 FCFA », a fait savoir la police dans une note d’information.
Plutôt dans l’année, le 10 avril, un autre cas de féminicide avait créé l’émoi dans le pays. Un militaire de retour d’un stage, a abattu sa femme puis s’est donné la mort avec son arme de service au quartier Jules Verne sur la route de Bingerville, près d’Abidjan.
Le 31 mars dernier, une autre actualité similaire a eu pour cadre la ville de Maféré, au sud-ouest du pays. Une femme mariée a été égorgée dans son domicile. L’auteur présumé du meurtre, son époux, a pris la fuite avant d’être arrêté deux jours plus tard au Ghana, après une collaboration entre les polices ivoirienne et ghanéenne qui a permis de mettre un terme à sa cavale.
Face à ces cas de féminicides récurrents qui ont suscité une vive émotion dans l’opinion publique , la Ligue Ivoirienne des Droits Femmes (LIDF) monte au créneau et appelle à des actions immédiates.
« Malgré les lois et les engagements pris par les autorités pour protéger les droits des femmes, trop peu d’efforts sont fournis pour garantir l’application stricte de ces mesures. Le manque de diligence dans les enquêtes et la culture de l’impunité renforcent le cycle de la violence « , écrit la LIDF dans un communiqué.
« Nous, la Ligue Ivoirienne des Droits Femmes, tenons à exprimer notre profonde indignation face à l’horrible féminicide qui a coûté la vie à Dame O.K. Ce crime, qui n’est qu’un féminicide de trop, reflète la persistance de violences en nombre croissant à l’encontre des femmes dans notre société. » dénonce l’organisation de défense des droits des femmes.
Par ailleurs, les responsables de la Ligue ont plaidé pour la reconnaissance juridique du féminicide et l’utilisation de ce terme dans la classification des violences basées sur le genre, l’adoption et l’application de lois spécifiques contre les féminicides, une application rigoureuse de la loi contre les auteurs des féminicides et un état des lieux sur les féminicides et des statistiques sur les violences sexuelles et sexistes en Côte d’Ivoire.
1 femme sur 3 victime de violence physique ou sexuelle au cours de sa vie
En Côte d’Ivoire, les principales violences basées sur le genre concernent les cas de meurtres, de violence domestique, de violence sexuelle et de viol, de mutilation génitale féminine et de mariage précoce.
Virginie (nom d’emprunt), la quarantaine, est une survivante de violences conjugales dont elle porte encore les stigmates.
Après dix-sept ans de calvaire dont onze ans de mariage, elle a trouvé refuge au centre d’accueil de femmes et d’enfants victimes de violences Akwaba Mousso, un centre de services intégrés permettant une prise en charge holistique des femmes et des enfants victimes de violences basées sur le genre (VBG) à Abidjan.
« C’est quelque chose que je subissais depuis longtemps. Les violences étaient de tous ordres, psychologiques, physiques et morales, et même financières. C’était vraiment très dur pour moi parce que mon mari m’avait coupé de tout le monde. », témoigne t-elle, la voix empreinte de tristesse.
« Je n’avais pas le droit de voir ma famille. Je n’avais pas le droit de fréquenter certaines personnes, c’est lui qui choisissait les personnes que je devais fréquenter. Mais en plus de cela, il me faisait contribuer au foyer au même titre que lui, alors que lui, il est financièrement bien posé, alors que moi, je travaille. Mais mon salaire ne peut même pas être à son niveau. Et puis je n’avais pas le droit de lui demander quelque chose non plus : si j’étais coincée au cours du mois et que j’allais vers lui, c’était des injures. Je ne valais rien, je n’étais rien », raconte-t-elle, des sanglots dans la voix.
Ouvert depuis mai 2023 à Abidjan, le centre Akwaba Mousso offre une prise en charge de jour aux femmes qui ont vécu des violences psychologiques, émotionnelles ou physiques.
Virginie fait partie des 177 femmes et mineures victimes de violences basées sur le genre accompagnées par le Centre.
Prise en charge des victimes et survivantes de VBG
Selon les données du Programme national de lutte contre les violences basées sur le genre (PNLVBG), 1 femme sur 3 a été victime de violence physique ou sexuelle au cours de sa vie.
Les violences envers les femmes se produisent aussi bien dans la sphère familiale, au sein du couple, mais aussi dans l’espace public et dans l’univers professionnel.
L’objectif du centre Akwaba Mousso est double : d’une part, offrir aux victimes de VBG des solutions concrètes pour sortir du cycle de la violence, particulièrement les femmes victimes de violences conjugales, et d’autre part, contribuer à la sensibilisation des communautés pour prévenir les violences, estime Nokana Paléka Chargé de Communication et Valorisation de l’ONG.
Malgré des développements positifs dans la prévention et la réponse à la violence basée sur le genre en Côte d’Ivoire, des défis importants demeurent, notamment en ce qui concerne la responsabilité, l’accès à la justice pour les survivantes et l’impunité pour les auteurs de ces actes.
Plus de deux femmes sont violées chaque jour dans le pays , selon l’ONG Akwaba Mousso.
Le féminicide observé en Côte d’Ivoire s’inscrit dans le vaste champ des violences faites aux femmes aux quatre coins du monde et mis en lumière au niveau international, par les revendications féministes depuis le mouvement #MeeToo.
Telle est la lecture faite par Dr Annick Gnazalé, sociologue, chercheuse à la Chaire Unesco de Bioéthique de l’Université Alassane Ouattara (Cote d’Ivoire).
« Les femmes s’insurgent contre l’hégémonie du patriarcat. Elles revendiquent plus de droits, elles revendiquent leur indépendance, même quand elles sont en couple. Et face à ce changement social, la violence sonne comme un rappel à l’ordre. En effet, le féminicide observé en Côte d’Ivoire s’inscrit dans le vaste champs des violences faites aux femmes aux quatre coins du monde. Quoique n’étant pas un phénomène nouveau, il est mis en lumière par la nouvelle génération de féministes qui se veut plus proche des victimes et plus actives sur les réseaux sociaux notamment. Éveillant ainsi la conscience collective sur ces formes de violences, longtemps passées sous silence », fait observer la sociologue.
Selon les résultats d’une enquête réalisée par l’ONG CPDEFM en 2020, au moins 416 femmes ont perdu la vie dans des circonstances violentes liées à leur genre, seulement dans la ville d’Abidjan, avec des milliers de cas de violences faites aux femmes.
Ces meurtres, loin d’être des faits isolés, sont des manifestations de la violence systémique et structurelle dont souffrent les femmes dans la société ivoirienne.
« En outre, si l’on se réfère aux deux cas de féminicides qui ont heurté la société ivoirienne entre les mois de mars et avril 2024, il est mentionné dans les rapports publiés une volonté de rupture manifestée par les victimes. Les femmes n’acceptent plus d’être des victimes passives. Elles osent revendiquer leur liberté. Et cette nouvelle manière d’agir suscite, dans certains cas, de vives réactions chez leurs conjoints, pouvant aboutir au féminicide. » souligne Docteure Annick Gnazalé.
C’est quoi un féminicide ?
Un féminicide, c’est le meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son genre. En d’autres mots, c’est quand une femme est tuée simplement parce qu’elle est une femme.
Ce terme relativement récent a été utilisé pour la première fois dans les années 1970 et rendu populaire par deux féministes, Jill Radford et Diana Russell, auteures du livre Femicide, The Politics of Woman Killing (en français : « L’aspect politique du meurtre des femmes ») publié en 1992.
Il est né de la fusion de « Fémini- » comme dans « féminin », et de « -cide » comme dans « homicide », « infanticide » ou « génocide », et désigne donc un meurtre de femme.
Le féminicide, c’est-à-dire le meurtre d’une femme constitue l’acte le plus extrême en terme de violence à l’égard des femmes.
Ces violences sont de natures très diverses, pouvant aller du harcèlement verbal et moral à d’autres formes de maltraitance psychologique, aux violences physiques ou sexuelles.
Quels types de traumatismes les violences sexuelles peuvent-elles laisser chez une victime ?
Elles ont de nombreuses répercussions sur la santé physique, sociale et psychologique des victimes, ainsi que sur leurs enfants, leurs proches et la société.
Détresse, perte de confiance et d’estime de soi, anxiété, crises d’angoisse honte, culpabilité, tension intérieure, stress, colère, désespoir, etc. Les victimes de violence conjugale et leurs enfants présentent souvent les symptômes de l’état de stress post-traumatique des souvenirs envahissants, des cauchemars et des flashbacks très souffrants pour la victime, estime la sociologue – chercheuse Dr Annick Gnazalé.
« Les violences qu’elles soient sexuelles ou physiques impactent tous les aspects de la vie de la victime et la société de façon générale. Elles peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé mentale allant de la dépression au suicide. Ces violences peuvent également affecter l’équilibre social de la victime qui peut se sentir stigmatisée, discriminée et rejetée par sa communauté. Les violences sexuelles peuvent aussi avoir des conséquences socioéconomique. Certaines victimes se retrouvent parfois au chômage pour avoir dénoncé un patron ou un collègue harceleur. Ce qu’on peut retenir en somme, c’est que les violences sexuelles peuvent avoir des conséquences multiples et multiformes sur la vie de la victime. »
- Prévention et identification des causes
Selon l’Organisation des Nations Unies, la prévention contre les féminicides passera par l’identification précoce des femmes vulnérables touchées par la violence, l’accès à un soutien et à une protection centrés sur les survivantes notamment.
Mais, il faut également se pencher sur les causes profondes.
Le renforcement de la collecte de données sur les féminicides est un aspect important. Il permet de prévenir et d’éliminer la violence faite aux femmes et aux filles.
Les féminicides peuvent prendre plusieurs formes. On entend plus souvent parler d’une femme qui est tuée par son conjoint ou un ancien partenaire, mais les féminicides peuvent aussi être commis par des connaissances, de la famille ou même des étrangers.
- Réduire les inégalités
Selon de nombreux experts, les féminicides sont une autre preuve que les discriminations et les inégalités entre les hommes et les femmes sont encore présentes dans notre société.
Pour le milieu de l’intervention, il faut que les gouvernements augmentent les ressources disponibles aux femmes qui sont victimes de violence et changent le système de justice pour mieux supporter les femmes.
- Éduquer les garçons à grande échelle
Les victimes des féminicides sont des femmes, mais il faut aussi parler aux hommes et faire de l’éducation. On parle beaucoup d’enseigner les relations plus égalitaires, et d’apprendre à reconnaître ses émotions et à gérer sa colère.